Par : Mario Antonio Padilla Torres14 septembre 2020
Avant le triomphe de la Révolution cubaine, le 1er janvier 1959, il y avait 6 250 médecins sur l’île, dont la moitié environ quitta le pays après cette date. En outre, plus de 63,2 % d’entre eux se trouvaient à La Havane, où les hôpitaux publics, les cliniques et les centres de santé privés n’étaient accessibles qu’à ceux qui en avaient les moyens et pouvaient en payer les services. Dans les trois massifs montagneux de Cuba, c’est tout juste si l’assistance médicale arrivait. La santé publique, dès les premières années de la Révolution, se convertit en une priorité pour l’État cubain qui, dès le début, la considéra comme un droit du peuple, de sorte que furent garanties les conditions nécessaires pour offrir les services de santé à tous sur un pied d’égalité, et ce gratuitement.On commença à combattre les maladies, avec un budget de 22 670 965 pesos pour financer la santé de la population. Ces chiffres ont progressivement augmenté avec le temps. Pour l’année 2019, 10 662,2 millions de pesos ont été alloués, et pour 2020 ce sont 12 740 millions de pesos (530 millions de dollars). Cela représente 28 % du budget total (du pays) et avec le budget de l’éducation, plus de 50% de ce même budget.
Ces deux secteurs se complètent dans le système de santé cubain (Portail, 2019). Le budget de cette année permettra la réalisation de plus de 200 millions de consultations médicales et de garantir les services médicaux fournis dans les hôpitaux et les instituts ainsi que les soins primaires de santé. À cela s’ajoute une couverture financière de 1,4 million pour les hospitalisations et les médicaments nécessaires (Portal, 2019). Il est également important de tenir compte des dépenses liées à la pandémie de la Covid-19, l’urgence sanitaire qui a ébranlé le monde et dont Cuba, non seulement n’a pas été épargnée, mais s’est mobilisée pour aller la combattre dans de nombreux autres pays.Au cours de l’année 2019, 8 098 nouveaux professionnels des différentes filières des sciences médicales ont obtenu leur diplôme, de sorte que Cuba possède plus de 100.000 médecins en activité, atteignant le chiffre le plus élevé de l’histoire,et en même temps un indicateur des mieux placés dans le monde, avec une proportion de 9.0 médecins pour mille habitants, environ 20.000 stomatologues, plus de 80.000 diplômés en soins infirmiers, 150 hôpitaux, 450 polycliniques, près de 11.000 cabinets médicaux, 13 universités de médecine, près de 90.000 étudiants et 30.000 spécialistes en formation. Plus de 35000 étudiants étrangers de 141 pays ont obtenu leur diplôme dans des universités cubaines (Portal, 2019).
Rien qu’en 2019, plus de 89 millions de consultations ont été données au niveau de la santé primaire et 1,199 million d’opérations chirurgicales ont été réalisées. En 2019, une couverture vaccinale supérieure à 98 % a été garantie, ce qui a permis de protéger les enfants contre 13 maladies, et 14 maladies infectieuses continuent d’être éliminées. Neuf autres ne sont pas considérées comme des problèmes de santé car elles présentent des taux inférieurs à 0,1 pour 100000 habitants. La mortalité prématurée dans la population de moins de 60 ans due à des maladies cardiaques, cérébro-vasculaires et au diabète sucré a été réduite. Il existe dans le pays 37 unités de sciences, de technologie et d’innovation, 1 500 projets de recherche, 153 essais cliniques et 8 vaccins ont été produits dans le pays (Portal, 2019).Le personnel de santé possède une haute préparation scientifique et technique élaborée au cours des plus de 60 ans de la Révolution cubaine, où la priorité a été donnée au développement de la santé, à la formation des professionnels, à la recherches scientifique, à la mise au point de vaccins et l’éradication des maladies endémiques d’avant 1959. Cela a permis à Cuba d’offrir très tôt ses services (de santé) à d’autres peuples du monde.
Historique de la coopération médicale cubaine L’histoire de la coopération médicale cubaine est très vaste et a connu plusieurs étapes et différentes modalités. Elle a commencé le 23 mai 1963 lorsque le premier groupe de médecins cubains internationalistes est parti pour l’Algérie. Ainsi commença la première mission médicale officielle de solidarité cubaine dans l’histoire de la Révolution. Toutefois, avant cette date, les médecins cubains avaient secouru la population chilienne en 1960 après l’un des tremblements de terre les plus graves enregistrés jusqu’à cette date.Entre les années 60 et 80, cette aide était comprise comme une « mission internationaliste » basée sur le principe de solidarité, et englobait d’autres domaines scientifiques et professionnels. Il ne s’agissait en aucun cas d’une exportation de services, car ni le pays ni les médecins n’en tiraient de revenus. Ce type d’aide, dans des pays de ce qu’on appelle le Tiers-Monde, était considéré comme une contribution cubaine à la libération et au développement des peuples. Les années 90 ont été marquées par des événements extérieurs qui ont fortement affecté l’économie cubaine, notamment la désintégration de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), la disparition du camp socialiste, principal marché cubain et le début de la période dite spéciale.
Cette situation renforça l’émergence d’une nouvelle modalité de coopération : l’Assistance Technique Compensée ou Contrat Direct, dont le principe consiste à établir un accord, par lequel le médecin engagé percevait une rémunération pour les services rendus et, d’autre part, rapportait au Système National de Santé une contribution permettant de maintenir le reste de la collaboration médicale que le pays ne pouvait pas assumer, en raison de la situation économique qui prédominait.À la fin des années 90, des catastrophes naturelles se produisirent dans la région de l’Amérique centrale et des Caraïbes (ouragans George et Mitch) qui modifièrent tout ce qui se faisait jusqu’alors. La modalité de Mission Internationaliste diminua, l’Assistance Technique Compensée fut progressivement réduite et le Programme Intégral de Santé (PIS) fut créé le 3 novembre 1998, d’abord en Amérique centrale et dans les Caraïbes, puis en Afrique et dans le Pacifique. Au cours de cette période, fut créée l’École latino-américaine de médecine (ELAM) comme élément de base de la continuité et de la durabilité de ce programme. Pour ce qui concerne les étrangers qui étudient à Cuba, le gouvernement a créé les conditions de vie nécessaires pour que leur processus de formation soit le plus complet possible. Toutes les personnes boursières bénéficient d’un logement, de l’alimentation, des services de santé, du matériel, des installations éducatives et de tout le matériel pédagogique et administratif nécessaire. (Morales, 2017)L’essence du PIS était d’envoyer des Brigades Médicales dans des endroits éloignés, difficiles d’accès, où il n’y avait pas de médecins nationaux et à ceux qui ne recevaient qu’une somme d’argent pour couvrir les besoins essentiels ». [1] D’autres programmes et modalités ont été également développés en fonction des urgences qui se sont présentées. (Morales, 2017).
La coopération de Cuba s’est développée avec comme base le principe de partager de ce l’on a. C’est ainsi que ces pratiques se distinguent, également par le volontariat des coopérants, qui ne voyagent en aucun cas en y étant obligés. Une fois la décision prise et arrivés au lieu d’affectation, l’une des principales préoccupations du gouvernement cubain a été de créer des conditions professionnelles, techniques et de vie dignes, pour chacun de ses collaborateurs quittant le pays. Les périodes de séjour sont de deux ans avec un congé annuel. Le programme comprend la préservation de son poste de travail à Cuba, une aide financière supplémentaire à sa famille et le maintien intégral de son salaire à Cuba, ainsi qu’une importante reconnaissance de son travail au niveau social. En termes monétaires, le coopérant cubain, dans le pays où il travaille, reçoit une allocation économique qui lui sert à couvrir ses besoins de séjour. Dans certains cas, le gouvernement du pays d’accueil assume une partie de sa pension. (Morales, 2017).
L’un des exemples les plus importants de la collaboration médicale de Cuba a été la création du Contingent International de Médecins Spécialisés en Catastrophes et des épidémies graves, Henry Reeve. Ce contingent fut créé par Fidel Castro en 2005 dans le but d’aider les victimes de l’ouragan Katrina aux États-Unis. L’aide médicale cubaine n’a jamais atteint la destination proposée, le président George W. Bush ne leur ayant pas donné l’autorisation d’entrer. La tragédie fit plus de 1800 morts. Un an plus tard, Bush déclarait : « Mon gouvernement n’a pas été à la hauteur de sa responsabilité ». [1]Depuis lors, le contingent Henry Reeve [2] est intervenu sur des cas de séismes (Pakistan, 2005; Indonésie, 2006; Pérou, 2007, Chine, 2008; Haïti, 2010; Chili, 2010; Népal, 2015; Équateur, 2016), fortes pluies (Guatemala, 2005; Bolivie, 2006; Mexique, 2007; El Salvador, 2009; Chili, 2015; Venezuela, 2015), urgences médicales (choléra en Haïti, 2010; Ebola en Sierra Leone, Guinée, Libéria, 2014) et ouragans (République dominicaine, 2015; îles Fidji, 2016; Haïti, 2016). [3]Ces dernières années, Cuba s’est vue obligée de diversifier ses sources de financement pour assurer sa collaboration et la survie de son propre système de santé, l’une des grandes conquêtes sociales de la Révolution. Dans ce sens, elle a conclu d’importants accords de collaboration avec divers pays avec lesquels il a été convenu de partager la responsabilité économique, notamment en ce qui concerne l’accompagnement médical, ce qui a été le cas spécifique du Venezuela et du Brésil (pendant les gouvernements du Parti des travailleurs). Sur des thèmes spécifiques, il a été conclu des accords de co-financement pour impulser des plans ou des accompagnements, comme ce fut le cas pour l’urgence Ebola en Afrique, ou l’appui aux urgences en Haïti, entre autres. À cet égard, Antonio Romero fait les observations suivantes : »En ce qui concerne le système de financement de la coopération cubaine, on observe différentes options : dans certains cas, tous les coûts ont été pris en charge par la partie cubaine (surtout pour les pays très pauvres ou vulnérables) ; dans d’autres cas, les programmes et projets ont bénéficié de financements provenant d’acteurs tiers (d’autres pays dans le cadre de schémas triangulaires de coopération et/ou d’organismes internationaux). Mais il existe également des actions, pour lesquelles le budget a été pris en charge et partagé par Cuba et par le pays bénéficiaire. » (Morales, 2017).
Le niveau de collaboration que Cuba est arrivé à maintenir a surtout été gratuit ou partagé. Remarquables sont les efforts de l’île pour maintenir plus de 50000 professionnels à l’étranger, pour accorder des milliers de bourses à des étudiants du monde entier, pour assurer toutes les opérations chirurgicales qui sont effectuées, ainsi que le matériel et les équipements. Tout cela représente une dépense impressionnante pour le gouvernement cubain.
[1] Voir : Néstor Marimón et Evelyn Martinez. Évolution de la collaboration médicale cubaine en 100 ans du Ministère de la Santé Publique.
[2] Idem.
[3] Henry Reeve, patriote cubain de nationalité américaine, a combattu aux côtés des Cubains dans la lutte pour l’indépendance contre l’Espagne au Xixe siècle.
Traduction Rose-Marie LOU
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