Javier Sotomayor Recordman du monde de saut en hauteur dans l’Humanité

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Son record du monde, les Jeux 2024, l’embargo, Fidel Castro : la légende cubaine de l’athlétisme répond aux questions des journalistes de L’Humanité, alors qu’il était présent à la Maison « Je suis Cuba à Tremblay » le dimanche 4 août.

Le recordman du saut en hauteur (2,45 m en 1993), double médaillé olympique et double champion du monde, était de passage le week-end dernier à la Maison de Cuba, en collaboration avec l’association Cuba Coopération, située en plein Club 2024 créé pour l’occasion par la ville de Tremblay-en-France. Après un échange avec le public, il nous a accordé un entretien.

Qui est, selon vous, l’athlète le plus marquant de ces jeux Olympiques ?

Plusieurs athlètes dans différents sports m’ont marqué. Le monde a vu une grande finale entre deux grands joueurs de tennis (Novak Djokovic qui a battu Carlos Alcaraz – NDLR). Simone (Biles – NDLR) également en gymnastique. De notre côté, Mijain (Lopez, lutteur cubain – NDLR), qui a une chance d’atteindre sa cinquième médaille olympique (qu’il a remportée, devenant ainsi un cas olympique unique – NDLR). Et, en basket-ball, Kevin Durant, LeBron James, Stephen Curry dont le succès de l’équipe (des États-Unis – NDLR) dépend tellement. Ce vendredi, un autre record du monde mythique, celui de Jonathan Edwards, pourrait tomber. Trois sauteurs s’en approchent : Hugues Fabrice Zango, Pedro Pichardo et Jordan Diaz. Ces deux derniers ont remporté des titres pour Cuba chez les jeunes avant d’être naturalisés portugais et espagnol.

Que pensez-vous de leur décision de concourir pour un autre pays ?

Cette question est toujours posée aux Cubains. Normalement, il s’agit d’une décision presque personnelle. Nous ne sommes pas le seul pays dans ce cas et nous sommes peut-être l’un des pays avec le moins de sportifs d’autres nationalités qui concourent sous nos couleurs. Nous sommes historiquement toujours 100 % cubains, ce que nous représentons, c’est notre pays.

Chacun prend ses décisions, je ne suis pas dans leur tête, dans leurs pensées et encore moins à l’origine de leur choix. Je souhaite le meilleur à ces Cubains que nous avons formés. Leur cas n’est pas spécial aujourd’hui, d’ailleurs il y a aussi un Cubain qui représentera l’Italie, avec des possibilités de médaille (Frank Chamizo en lutte libre – NDLR). Cela signifie que nous aurons au moins quatre Cubains qui concourront pour trois pays différents.

Comment expliquez-vous les bonnes performances des athlètes cubains ?

Je me suis formé avec les autres athlètes cubains à travers différentes écoles et instituts spécialisés, grâce à des entraîneurs très bien formés. Cela ne concerne d’ailleurs pas que le saut en hauteur, mais aussi toutes les disciplines de l’athlétisme.

Quel est l’impact de l’embargo que subit Cuba sur la formation de nouveaux sportifs ?

Cela a toujours un impact négatif parce que les conditions d’entraînement, les possibilités que nous avons pour les infrastructures sportives, les équipements et la participation à des événements internationaux sont considérablement réduites. Néanmoins, nous avons encore des bons résultats car ils reposent sur une base solide.

Depuis de nombreuses années, nous avons des problèmes à affronter, mais ils se sont fait beaucoup plus ressentir à partir de la pandémie du Covid. À l’échelle de l’économie, nous dépendons du tourisme qui n’a pas retrouvé son niveau des années précédentes. Pour résumer, nous ne vivons pas le meilleur moment.

Quel est votre rapport à Cuba ? Que ressentiez-vous de concourir sous ses couleurs ?

Beaucoup d’athlètes cubains sont excellents et c’est déjà un honneur d’évoluer parmi eux. Quand je sors dans la rue, je suis encore reconnu, même des années après. Les gens me demandent des autographes et des photos, je leur rends avec plaisir ce service. Je me sens proche du peuple, en particulier du peuple cubain. J’ai eu la chance de naître à Cuba.

Je crois que je l’ai représentée très dignement. Je suis heureux d’avoir hissé notre drapeau dans de nombreux endroits à travers le monde, tout en haut du podium.

Vous avez connu Fidel Castro, quelle est votre relation avec cette figure historique ?

Je pense que le sport en général lui doit beaucoup. Nous avons eu l’honneur d’échanger avec lui à de nombreuses occasions, et c’était une personne qui s’intéressait beaucoup au sport, qui encourageait et motivait le développement de nos résultats. Je pense que nous sommes nombreux à lui être très reconnaissants pour tout ce que Fidel a fait pour le sport cubain.

Qu’avez-vous fait après vos exploits sportifs ?

Je suis retraité du sport depuis 2001, j’ai commencé à travailler dans la culture, plus précisément dans la musique avec mon groupe de salsa, puis je suis devenu entraîneur et secrétaire de la Fédération cubaine d’athlétisme.

Entre votre record en salle et votre record en extérieur, lequel a été le plus difficile à obtenir ?

Le record qui a été le plus difficile pour moi, personne ne le connaît, c’est mon record junior quand j’ai fait 2,33 m à 16 ans.

Est-ce qu’un athlète dépassera un jour votre record ?

Les jeux Olympiques ne sont pas un bon endroit pour dépasser le record du monde de saut en hauteur. C’est très difficile. Pour un nouveau record cette année, il faudra plutôt regarder du côté du saut à la perche (l’entretien a été réalisé avant le record du monde de Mondo Duplantis à 6,25 m en finale – NDLR). En saut en hauteur, il y a 2 ou 3 athlètes qui se disputeront la médaille d’or, mais ils n’auront pas besoin de tenter 2,45 m (son record – NDLR) pour remporter la compétition.

Des athlètes ont dépassé 2,40 m, dont un à 2,42 m et un à 2,43 m (respectivement l’Ukrainien Bohdan Bondarenko et le Qatari Mutaz Essa Barshim – NDLR). Un athlète italien, Gianmarco Tamberi, a tenté 2,46 m et a échoué. Mais on ne sait jamais, c’est un sport extrêmement dur à prévoir.

Vous avez été entraîneur. Quel message souhaitez-vous porter auprès de la jeunesse ?

Mon conseil pour n’importe quel jeune, c’est de ressentir de l’amour et de la passion dans ce qu’il entreprend, poursuivre ses rêves. C’est ce que je faisais quand j’étais jeune, allant même jusqu’à l’obsession. Concernant le sport, je recommande beaucoup de discipline pour s’améliorer. Si tu ne sautes qu’à 1,60 m, ne désespère pas et tente 1,70 m à la prochaine. Pour être un grand champion, il faut une certaine capacité physique, mais le plus important, c’est la discipline.

Ce n’est pas la première fois que vous vous trouvez en région parisienne, vous y étiez déjà venu pour une compétition à Saint-Denis en 1989. Que vous inspire ce retour ?

J’y étais venu avec une très grande sélection d’athlètes et j’ai depuis eu l’opportunité de visiter plusieurs fois la France. Si, à cette occasion, j’avais dépassé 2,46 m, le maire de Saint-Denis aurait dû me construire un monument !

L’Humanité publié le 9 août 2024 Auteurs : Florent LE DU Timothée Ives

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